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FUSIONS & ACQUISITIONS DANS LES SECTEURS STRATEGIQUES : LA NOUVELLE DONNE FRANCAISE

Publié par Fusions & acquisitions le 21/05/2015

 

Si 2014 a marqué le retour en force des fusions-acquisitions sur le marché français, 2015 confirmera plus que jamais la présence de l’État au tour de table des opérations dans les secteurs stratégiques.
C’est désormais une certitude : l’État entend être présent au tour de table des opérations de fusions-acquisitions dans les secteurs stratégiques. Si cette volonté est ancienne dans la culture colbertiste et aujourd’hui communément reprise sous le vocable de patriotisme économique, elle se traduit désormais par la mise en place d’outils juridiques contraignants qui constituent une nouvelle donne pour les acteurs de la place.

Les deux tiers du CAC 40 visés
 
Sur le plan juridique et réglementaire, le retour de l’État à la table des négociations a pris toute sa mesure lors de l’adoption du décret du 14 mai 2014 sur les investissements étrangers soumis à autorisation préalable. En élargissant de 11 à 16 la liste des secteurs sensibles, le gouvernement s’est doté d’une « arme atomique » lui permettant d’autoriser préalablement tout investissement étranger dans un périmètre d’activités essentielles qui couvre les deux tiers du CAC 40 !
Bien sûr, il faut que cet investissement constitue une menace à la sécurité nationale (comprise comme l’ordre public, la sécurité publique et la défense nationale) ou aux infrastructures d’importance vitale pour se voir opposer un refus de l’Administration. À vrai dire, ces situations sont rares. Toutefois, il faut nuancer les statistiques et se dire que 2015 pourrait être l’année de « l’exemple pour la cause », dans le but pour l’État d’asseoir une doctrine de dissuasion qui ne puisse laisser aucun doute aux acteurs du marché.
 
L’État au tour de table
 
En réalité, le point essentiel réside bien dans la présence des pouvoirs publics comme interlocuteur incontournable entre l’investisseur et sa cible dans des opérations qui relevaient jusqu’alors du libre investissement. C’est cette présence concrète au tour de la table, renforcée par un pouvoir de sanctuarisation des activités sensibles en dehors de l’opération initialement prévue, qui change les termes de la négociation. L’investisseur ne pourra réaliser son opération que si celle-ci offre des garanties certaines à l’État, par exemple le maintien des centres de décision ou des centres de recherche et développement sur le territoire national.
Ainsi, l’État est bel et bien redevenu un acteur de la transaction. L’erreur serait d’ailleurs de s’en émouvoir et d’invoquer un risque de délocalisation des opérations. Cet argument n’opère pas en réalité. D’une part, les investisseurs sont déjà accoutumés à de telles pratiques, notamment lorsqu’ils pratiquent la législation américaine et le passage par le CFIUS. Le fait que la France s’aligne sur les standards internationaux en matière de contrôle des investissements étrangers ne constitue pas un effet répulsif (sauf à vouloir s’exonérer de la capacité d’aborder de telles opérations sensibles). D’autre part, si un investisseur souhaite réaliser une opération en France, c’est parce que le pays possède bon nombre de technologies et/ou de savoir-faire dans des secteurs stratégiques qu’il ne saurait trouver ailleurs. Ce n’est donc pas la réglementation qui va être un obstacle. Bien au contraire, dans un processus de vente avec mise en concurrence de plusieurs acquéreurs, la maîtrise de la phase institutionnelle pourra être un des facteurs clé du succès d’un compétiteur.
Inutile donc de déplorer cette nouvelle donne et de rêver d’un entre-soi disparu. L’enjeu est désormais ailleurs : comment traiter ce partenaire si particulier avec lequel les différents acteurs n’avaient plus vraiment l’occasion de négocier ?
 
Changer de logiciel
 
Le premier réflexe à développer, c’est de s’interroger sur la nature stratégique – ou pas – du secteur dans lequel va se dérouler l’investissement ou l’opération de prise de contrôle. Il ne suffit pas ici de s’interroger d’un point de vue strictement règlementaire (l’opération implique-t-elle une cible relevant de la liste des seize secteurs sensibles ?) mais bien de penser le caractère « stratégique » d’un point de vue institutionnel : le secteur fait-il l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics au titre des politiques publiques ? Cela oblige l’investisseur à se placer non pas du côté de son bon droit (que dit précisément le Code monétaire et financier ?) mais bien du côté de l’État (qu’est-ce que les services de Bercy ou de la Délégation à l’intelligence économique ont en tête ?).
Cette question trouve toute son acuité avec la présence d’un opérateur ou d’une infrastructure qualifiée d’importance vitale. Le sujet est ici particulièrement délicat. En effet, ce type de cible est d’autant plus protégé que l’administration ne communique pas à son sujet et que la liste n’en est pas rendue publique. Un investisseur peut se retrouver confronté à cette situation une fois l’opération enclenchée. Il est alors difficile de faire machine arrière… C’est le cas notamment de certains établissements bancaires qui, bien que hors champ d’application de l’article L.151-3 du Code monétaire et financier, peuvent se voir assujettis à des objectifs de sécurité nationale et dès lors recevoir la qualification d’opérateurs d’importance vitale. Leur acquisition sera ainsi soumise à autorisation préalable !
Le deuxième réflexe à développer, c’est d’intégrer le plus en amont possible la présence de l’État comme interlocuteur de l’opération. Concrètement, dès que l’idée de l’opération d’investissement ou d’acquisition germe dans l’esprit des décideurs, il leur faut penser leur tour de table avec l’État. Il est ici indispensable que les conseils impliqués dans l’opération, voire les dirigeants eux-mêmes, intègrent dans leur stratégie et la structuration de l’opération les mêmes réflexes anticipatifs qu’ils ont su développer pour l’antitrust, la réglementation boursière ou la communication financière. Il n’est plus possible avec la nouvelle réglementation d’avoir une logique attentiste, ou pire une logique de guichet.
Cette anticipation se traduit par une batterie de questions à se poser. La première concerne le moment où il faut alerter l’État de l’opération à venir. Il s’agit là d’une question délicate pour des raisons de confidentialité et de stratégie vis-à-vis de la société cible, mais surtout des concurrents. Elle trouve une partie de sa résolution dans le fait que l’État s’attend d’être informé le plus en amont possible. Il faut également intégrer que l’intérêt de l’investisseur est de « ranger » les pouvoirs publics de son côté le plus rapidement possible. La seconde question à se poser est quel niveau d’interlocuteur et quel secteur ministériel avertir en premier ? Si la règlementation dirige l’investisseur vers le bureau Multicom 3 du ministère de l’Économie, faut-il néanmoins alerter le cabinet du Ministre ? Faut-il avertir d’autres départements ministériels ? Faut-il enfin se rapprocher des services du Premier ministre, notamment la Délégation à l’intelligence économique ou bien encore alerter les conseillers du président de la République ?
Le troisième réflexe concerne la délimitation du périmètre de négociation de l’opération. Puisque l’État va s’interroger sur la présence de technologies sensibles, et qu’il dispose le cas échéant du droit d’exclure certaines de ces activités de l’opération via une entité séparée, l’investisseur doit réellement concentrer ses moyens sur son objectif essentiel et le distinguer de l’accessoire. Il aura ainsi intérêt à exclure du périmètre de l’opération toute technologie qui n’est pas sa priorité, et ce le plus vite possible. Il ne faudrait pas que, pris dans son élan, son opération se brise sur un point de négociation motivé par le contrôle de Bercy au titre du patriotisme économique. Dans l’idéal cette sortie se fait avant l’accord des parties à l’opération, dans la contrainte elle se ferait avec les « recommandations » de l’État.
 
Parler à l’État : un métier !
 
Compte tenu du champ couvert par les nouveaux dispositifs de contrôle des investissements sous l’angle du patriotisme économique, la méconnaissance des arcanes institutionnelles est donc devenue une faute lourde dans le cadre d’une opération affectant un secteur stratégique.
L’enjeu pour les conseils de l’acquéreur ou l’investisseur est donc de ramener constamment l’ensemble des parties autour de la table à la « réalité de l’opération », c’est-à-dire une négociation débarrassée des blocages et des a priori institutionnels. Ces blocages naissent le plus souvent d’une interprétation extensive du champ stratégique à protéger ou d’une prise en compte d’enjeux extérieurs à la sécurité nationale (politique de l’emploi principalement). C’est un défi constant pour toutes les parties, car la présence de l’État autour de table entraîne immanquablement un risque de politisation.
Et s’il s’agit d’une nouvelle donne, c’est que les investisseurs avaient perdu l’habitude de demander la permission aux pouvoirs publics pour mener leurs affaires…

 

Pascal DUPEYRAT - 15 mars 2015
Lobbyiste, Relians Lobbying - Auteur de Mondialisation et patriotisme économique, Préface de Nicolas Dufourcq, J-M Laffont Editions, 2015.

 

 http://www.fusions-acquisitions.fr/

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