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MESURES PHARES DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTE AYANT UNE INCIDENCE SUR LES ACQUISITIONS

Publié le 04/03/2015

Toute entreprise en difficulté est potentiellement la cible d’une acquisition, en général à prix décoté. La réforme du droit des entreprises en difficulté par l’ordonnance du 12 mars 2014, complétée par le décret du 1er juillet 2014, confirme cette réalité et les opportunités qui en découlent pour tout acquéreur potentiel.

Cette réforme a pour objet, dans les faits, de renforcer notablement les droits des créanciers. En particulier, il leur est désormais officiellement permis de présenter leur propre plan de redressement ou de sauvegarde de leur débiteur. Manque cependant à la réforme le corollaire aux nouveaux droits des créanciers, c’est-à-dire la possibilité pour le tribunal de leur imposer des abandons de créances.
Parmi les divers apports de la réforme, nous prenons la liberté de sélectionner trois points saillants. On retiendra ainsi la possibilité de préparer un plan de cession, dès le stade de la prévention, et la faculté pour les créanciers de présenter un plan concurrent à celui élaboré par le débiteur. Sera également abordée la question de la participation des actionnaires au redressement de l’entreprise.

1. Possibilité de préparer un plan de cession d’une entreprise en amont d’une procédure collective
 
L’objectif est désormais de préserver la valeur de l’entreprise, donc le gage des créanciers, le tissu économique et l’emploi. Il fallait donc permettre de préparer la cession de l’entreprise en amont afin d’éviter une vente à l’encan dans le cadre d’une procédure collective.
Avant cette nouvelle réforme, le tribunal pouvait déjà décider, mais uniquement en liquidation judiciaire, de ne pas procéder à un nouvel appel d’offres lorsque l’administrateur avait déjà reçu des offres spontanées satisfaisantes dans le cadre d’un redressement judiciaire préalable.
Cette possibilité est désormais étendue aux cas où des offres ont été formulées dans le cadre d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation. En pratique, elle autorise la préparation d’un plan de cession partielle ou totale de l’entreprise, préalablement à l’ouverture de toute procédure entraînant un gel du passif de plein droit (sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire). Dans cette optique, le professionnel désigné pourra désormais être chargé, sur demande du débiteur et après avis des créanciers participants, d’une mission ayant pour objet l’organisation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise.
En pratique, au stade d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation, si le prix proposé par le candidat repreneur est insuffisant pour solder le passif, aucun sacrifice ne pourra être imposé aux créanciers et la cession ne pourra pas avoir lieu. La cession préparée pendant la conciliation pourra en revanche être mise en œuvre très rapidement dans le cadre d’une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, en particulier dans ces deux derniers cas, si le prix de cession de l’entreprise ne couvre pas le passif.
 
2. Faculté pour un créancier membre d’un comité de présenter son propre plan pour son débiteur
 
Jusqu’à présent, en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou redressement judiciaire, les créanciers pouvaient soit accepter les demandes de remises de dettes formulées par le débiteur (directement ou, pour les sociétés dépassant certains seuils d’effectifs ou de chiffre d’affaire, au travers des comités de créanciers à une majorité qualifiée), soit être soumis au plan élaboré par le débiteur et comportant des délais de règlement de leurs créances pouvant aller jusqu’à dix ans. Ils étaient également éligibles à la présentation d’une offre de reprise.
L’ordonnance complète le dispositif en introduisant la faculté pour les créanciers, à condition qu’ils soient membres d’un comité, de présenter au tribunal un plan alternatif voire concurrent à celui élaboré par le débiteur (ou, dans la procédure de redressement judiciaire, par l’administrateur avec le concours du débiteur).
L’adoption par le tribunal du plan présenté par des créanciers, contre l’avis de la société débitrice et/ou de ses actionnaires, pourra éventuellement donner lieu à des difficultés de mise en œuvre. Il n’existe pas à l’heure actuelle de mécanisme général de prise de contrôle forcée par la dette. Mais le principe d’un plan concurrent à l’initiative des créanciers est posé.
Quels sont alors les instruments pour la prise de contrôle en capital s’il n’y a pas de consensus? La loi ne prévoit pas de mécanisme spécifique d’entrée au capital de la société en procédure collective (sous réserve de la structure des sûretés, spécifique à chaque situation, et de la possibilité de les exercer ou pas).
En sauvegarde, toute modification du capital social devant être décidée par l’assemblée générale des actionnaires en application du droit commun, l’entrée au capital de nouveaux actionnaires ne peut, pas davantage qu’auparavant, être imposée.
En redressement judiciaire, l’administrateur judiciaire pourra faire désigner un mandataire ayant pour mission de convoquer l’assemblée compétente aux fins de reconstituer les capitaux propres à hauteur du minimum prévu par la loi et de voter sur cette question à la place des actionnaires « opposants », lorsque le projet de plan prévoit une « modification du capital en faveur d’une ou plusieurs personnes qui s’engagent à respecter le plan ».
La portée de cette dernière disposition sera limitée en pratique. Dans les faits, une entreprise en état de cessation des
paiements (notion purement de trésorerie) n’aura pas obligatoirement un niveau de capitaux propres insuffisant (résultant de pertes comptables). En outre, l’augmentation de capital qui pourra être imposée, ne le sera qu’à hauteur du montant nécessaire à la reconstitution des fonds propres, n’entraînant pas nécessairement une dilution massive de la participation des actionnaires existants.
L’introduction par la réforme de la possibilité pour les créanciers de présenter leur propre plan revient donc à poser, dans un cadre judiciaire, le principe de recherche de consensus propre aux mandats ad hoc et conciliations.
Si une version itérative de la réforme devait, dans les années à venir, permettre aux plans concurrents de créanciers d’imposer à l’entreprise un plan de conversion forcée de la dette en capital, il serait alors indispensable de rééquilibrer le dispositif en introduisant la faculté pour le juge d’imposer des réductions de dettes aux créanciers récalcitrants, tout particulièrement s’ils ne présentent pas de plan alternatif sérieux.
Par exemple, aux États-Unis, ce mécanisme permet au juge, en cas d’opposition des créanciers à l’adoption de tout plan, de leur imposer des sacrifices, dont le montant ne devra néanmoins pas excéder ce qu’ils auraient pu obtenir en cas de liquidation judiciaire. Ce pouvoir du tribunal incite fortement les créanciers à participer activement, essentiellement par des abandons de créances, à l’adoption d’un plan.
Or, en droit français, avant comme après la réforme, le tribunal ne peut pas imposer aux créanciers de réduction de dette à laquelle ils n’auraient pas consenti, directement ou au travers des comités. Au final, les droits des créanciers se trouvent renforcés par la réforme, sans aucune contrepartie.
Cette réticence du législateur français à permettre au juge d’imposer des réductions de dettes aux créanciers est d’autant moins justifiée que le mécanisme de la cession comporte déjà, de fait, une double expropriation (des créanciers et actionnaires) au profit d’un tiers, dont la première qualité est précisément d’être un tiers. L’introduction d’un dispositif de réduction de dette, associé à une réelle faculté de présenter un plan alternatif, serait ainsi en réalité bien plus protectrice des créanciers qu’un plan de cession ou qu’une liquidation.
 
3. Participation des actionnaires au redressement de l’entreprise
 
S’agissant de la participation des actionnaires au redressement de l’entreprise, deux voies de réforme étaient envisageables : soit leur imposer des efforts (notamment par des apports de capitaux supplémentaires), soit rendre possible leur éviction.
Un moment envisagée dans les projets d’ordonnance, la possibilité d’éviction forcée des actionnaires en procédure de redressement (et non en sauvegarde) a finalement été écartée. Elle pourrait faire l’objet d’un texte séparé ultérieur.
L’ordonnance renforce cependant à certains égards les obligations des actionnaires. En particulier, ils devront libérer, dès l’ouverture de la procédure, la totalité du capital. Ce risque devra être anticipé par les actionnaires dès la souscription du capital, car il est susceptible d’entraîner d’importantes sorties de trésorerie dans des délais très courts au lieu d’attendre le terme.
En conclusion, ces aspects de la réforme paraissent intéressants mais le système est devenu extrêmement complexe. Demeure en particulier un grand absent du système : la possibilité pour le juge d’imposer des réductions de dettes. Une nouvelle modification législative paraît inévitable.
 

par Pierre Forgetet Laurence Dumas Associés, Pinsent Masons Paris.

 http://www.fusions-acquisitions.fr/

 

 

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